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La Source avait terminé sa première partie (Q 3,2b – 7,35) sur une parole traitant de la Sagesse :
Q 7,35 Ce sont bien ses enfants qui donnent raison à la Sagesse.
Elle fait de même à la fin de la deuxième (Q 9,57 – 11,51) :
Q 11,49 C’est pourquoi la Sagesse a dit :
Je vais aussi leur envoyer des prophètes et des sages, mais ils en tueront et pourchasseront certains.
50 C’est pourquoi cette génération devra rendre des comptes sur le sang versé de tous les prophètes depuis la mise en place du monde,
51 depuis le sang d’Abel jusqu’à celui de Zacharie, assassiné entre l’autel et la Maison.
Oui, je vous le dis, cette génération aura des comptes à rendre.
1. C’est le genre de péricopes sur lesquelles les lectrices et lecteurs de notre culture et de notre génération passent d’ordinaire à pieds joints, parce qu’ils ne comprennent pas trop ce qu’elles signifient. Il convient donc, en partant, d’en décoder le langage.
La Sagesse. La «Sagesse», c’est une personnification du Sens intelligent qui a présidé à la mise en place du cosmos avec l’humanité dedans. C’est comme si on prenait l’intelligence de Dieu, à l’origine d’une réalité qui a du sens, qu’on la sortait de lui et qu’on en faisait un être subsistant[1]. En faisant parler la Sagesse, la Source fait savoir à ses lectrices et lecteurs qu’elle a l’intention de les orienter vers l’intérieur des choses, de les faire aller au-delà des apparences, de les sortir de la bulle de non-sens créée par les humains, pour les ouvrir à l’Intelligence de Dieu.
L’envoi. Partout, à travers les âges et les cultures, il se trouve des gens qui voient clair, qui ne se laissent pas piéger par le système, qui comprennent comment ce dernier veut les utiliser. Quand la Source parle de l’«envoi» de ces personnes par la Sagesse, elle témoigne de leur valeur : elles représentent le Dieu vivant, lequel est personnellement atteint par le sort qu’on leur fait subir.
Prophètes et sages. Les «prophètes» sont ceux et celles qui font savoir aux responsables du système la folie de leur comportement. Les «sages» sont ceux et celles qui ont le courage de devenir humains, en passant outre aux modes et aux illusions que le système leur impose.
Cette génération. La génération de la Source a connu Jean Baptiste, qu’elle a décapité, et Jésus, qu’elle a crucifié. Elle a ainsi pris la relève des précédentes, et poussé leur folie à bout.
D’Abel à Zacharie. Selon le récit de la Bible hébraïque, Abel est le premier humain à avoir été tué :
Gn 4,8 Et Caïn se leva contre Abel, son frère, et le tua.
Et le prêtre Zacharie, le dernier :
2 Chr 24,21 Et les gens complotèrent contre lui [Zacharie], et, dans la cour de la Maison de Yhwh, ils le tuèrent à coups de pierres par ordre du roi.
2. Près d’un demi-siècle plus tard, le rédacteur du prologue de D’après Jean témoignait d’une lecture de l’Histoire semblable à celle de la Source, quand il écrivait :
Jn 1,10 Il [le Sens] était dans le monde, et le monde arriva par lui, et le monde ne l’a pas reconnu.
11 Il est venu chez les siens, mais les siens ne l’ont pas accueilli.
La lecture est la même, et les deux textes se complètent. Depuis toujours, le Sens est présent dans l’humanité; depuis toujours, il se trouve des humains qui le reconnaissent; et, depuis toujours, l’Histoire est ensanglantée parce que le système refuse violemment de reconnaître ce que le Sens lui dit. Le dernier verset de la Source se tourne donc vers l’avenir et avertit chaque génération jusqu’à la fin ultime de l’Histoire :
Q 11,51b Oui, je vous le dis, cette génération aura des comptes à rendre.
La Sagesse déclare qu’un jour l’Humain rendra justice au Sens.
3. Comme toujours et partout, il y a plein de prophètes et de sages parmi nous. Ça fait plus d’un demi-siècle que notre «génération» se fait avertir par les prophètes des dangers de la crise climatique dont nous commençons à sentir douloureusement les effets; et il s’est trouvé des sages pour les écouter et changer leur mode de vie en conséquence. Mais prophètes et sages ne sont pas pris au sérieux.
Nous savons depuis longtemps, de la bouche des prophètes, que la perte des terres agricoles au profit des promoteurs est une folie, et que l’agriculture intensive sous des flots de pesticides est désastreuse; et il s’est trouvé des sages pour prôner la culture biologique, locale, à petite échelle. Mais prophètes et sages ne sont pas pris au sérieux. Le système ne veut rien savoir d’eux, parce qu’ils s’opposent à ses intérêts. Et l’Église non plus, parce qu’ils n’ont pas d’habits religieux, et sous prétexte que ce qui n’est pas religieux ne peut pas être parole de Dieu. L’Histoire se répète donc :
Il vient chez les siens, mais les siens ne l’accueillent pas.
Et ils auront des comptes à rendre.
Note :
[1] Les textes bibliques contiennent plusieurs personnifications de différents aspects de Dieu auxquels les humains sont sensibles : Souffle saint (pouvoir), Humain ou Fils de l’homme (jugement), Satan (vérification de l’authenticité des êtres), Parole (communication), Messager (porteur de la Parole), etc.
À PROPOS D’ANDRÉ MYRE
André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.
Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.
